Le danseur, chorégraphe, musicien et journaliste Jean -Léon Destiné est mort le 22 janvier dans sa résidence de Manhattan, a appris Le Nouvelliste dont il fut un collaborateur au siècle dernier.
C’est le compositeur Jean Jean-Pierre, gardien des trésors culturels haïtiens, qui a informé le journal de cette perte, avant que deux emails de son fils Carlo Destiné et de Marie-Lourdes Elgirus ne confirment la nouvelle et annoncent que ses funérailles se feront en stricte intimité.
Jean-León Destiné avait 94 ans. Pour Margalit Fox du New York Times qui lui a fait un long article d’hommage : « L’homme a présenté la musique traditionnelle et la danse haïtiennes sur les scènes du monde entier.»
Dans son billet au Nouvelliste, Mme Elgirus a écrit : « J’ai eu la chance de travailler avec lui, c’était un homme formidable, il a formé des générations de danseurs et de chorégraphes. Il aimait Haïti et la culture de notre pays. »
Considéré depuis la mort d’Aubelin Jolicoeur et de Clarence Pierre-Pierre comme le plus ancien collaborateur vivant du Nouvelliste, Marie-Lourdes Elgirus rapporte qu’il lui disait toujours comment il chérissait le temps qu’il a passé au journal. Jean-León Destiné, des décennies après avoir cessé de collaborer avec Le Nouvelliste, payait toujours une visite d’amitié au journal lors de ses passages en Haïti, se rappelle Max Chauvet, directeur et propriétaire du Nouvelliste.
L’hommage de ses pairs
Ayant quitté Haïti depuis des années, le nom et la carrière de Jean-Léon Destiné ne sont pas connus du jeune public ni même de ceux d’un certain âge. Interrogé par Le Nouvelliste, le talentueux et prolifique chorégraphe Jeanguy Saintus confesse : « Je peux difficilement parler de Jean Léon Destiné. On s’est rencontré à New York au début des années 90 pour la première fois… et je l’ai revu à Port-au-Prince en 1995. Je n’ai pas assez d’informations sur ce grand homme, ce géant Master des danses traditionnelles haïtiennes… » « J’en suis désolé», a conclu le maître à penser de la compagnie Artco. Pour Viviane Gauthier, la danseuse et professeur de danses folkloriques haïtiennes au plus long règne, c’est un autre son de cloche. Du haut de ses 95 ans, Vivianne Gauthier, encore en activité, est un contemporain de Jean-Léon Destiné. A Rosny Ladouceur du Nouvelliste elle a confié : « La mort de Jean-Léon Destiné, natif de Saint-Marc, m’est un choc. J’avoue être profondément attristée par la perte d’un si grand monument. Le milieu de la danse est très touché. » Vivianne Gauthier, nonagénaire encore alerte et vive d’esprit, se rappelle. « Je l’ai connu comme professeur à l’École de danse Lavinia Williams (école de référence en matière de danse folklorique et de danse classique dans les années 60-70) où il enseignait. Sage, poli, sympa et ami de tous, Jean Léon Destiné est l’un des plus grands danseurs qu’Haïti ait connus. Sa mort me rappelle une époque où la danse haïtienne a brillé ici comme ailleurs, et où la culture haïtienne connaissait ses moments de gloire. Sa rigueur, sa discipline et sa vision pour la danse font de lui une valeur sûre que la postérité se doit d’honorer. »
« Salué par sa génération, Jean-Léon jouissait d’une renommée internationale, notamment aux États-Unis (New York) et en Europe où il a performé. Il a su hisser le drapeau haïtien très haut, partout où il est allé et il a fait notre fierté sur la terre étrangère. Le ministère de la Culture, tous les acteurs et professionnels de la danse, toute la nation haïtienne devront lui rendre un dernier hommage. Le milieu de la danse est très touché. Je pense que c’est un danseur de grand calibre que l’histoire ne devrait pas jeter dans l’oubli. Il pratiquait la danse avec passion et amour. Et il a milité vaillamment pour la reconnaissance de nos danses populaires dans un contexte difficile de production et de promotion de la culture populaire ou de masse», croit celle qui a vu passer des artistes portés au pinacle puis jetés dans l’oubli avant de finir leur vie dans le désenchantement et la gêne. Pour Vivianne Gauthier, chorégraphe et professeur de danse encore en activité à 95 ans (le 17 mars prochain) Jean-Léon Destiné doit servir de modèle aux jeunes. « Son histoire, sa folie et son engouement pour la danse est un exemple de courage pour les jeunes de cette génération. Il restera à jamais gravé dans ma mémoire. Une grande manifestation culturelle devrait marquer son envol pour l’au-delà. Mes sympathies aux familles et amis affectés par ce deuil. Que la terre lui soit légère !
Le père de la danse traditionnelle haïtienne
Pour danser, il faut un support musical et Jean-Léon Destine se sert lui-même. Plusieurs disques portent sa signature. A chaque fois, il s’agit d’interprétations de musiques folkloriques et de thèmes traditionnels liés au vaudou. Parmi les musiciens qui l’accompagnent, on retrouve le grand Ti Roro, Raymond Ballergeau au tambour. Sur le site http://www.deezer.com/fr/artist/1665100, on peut écouter des extraits de son répertoire. Son empreinte est si forte dans le New York des années 40 que le gouvernement de Dumarsais Estimé en fait un ambassadeur culturel et il parcourt les cinq continents pour défendre la culture haïtienne. Mais s’il s’essaie aussi au théâtre, c’est la danse qui occupe sa vie. « Considéré comme le père de la danse traditionnelle haïtienne, Destiné a percé dans les années 40 et a continué à glaner des succès au fil des décennies. Il a poursuivi son art jusqu’à un âge avancé. » Et l’auteur de l’article du New York Times de rappeler qu’en 2003, Anna Kisselgoff, qui assistait à un spectacle de Jean-Léon au Symphony Space à New York, avait écrit que la performance de Destiné a séduit l’assistance. Elle ajoutait que l’artiste avait paru agile et nuancé et fascinant dans une chorégraphie solo centrée sur un mouvement de jambes recourbées. En sa qualité de chorégraphe, il dirigeait sa propre troupe dénommée.