Haïti en parle. Le sujet est sur toutes les lèvres. Les commentaires sur Facebook, réseau social où des vidéos et des photos ont été publiées, sont divergents. Une femme est venue bénir le plus beau jour de sa vie à l’église Saint-Pierre, mais l’homme qu’elle devait épouser ne s’est pas pointé ! La honte, la grande humiliation publique, voilà l’actualité de ce début de semaine. Read More

Comme on devait s’y attendre, la scène attire. Devant cette crise de panique que pique la famille de cette dame vêtue de blanc rentrée en Haïti pour se marier, les riverains accourent, les questions pleuvent, les opinions se multiplient : « Yo fout renmen maryaj twòp. Atò, yon bèl fanm konsa, pou l ap kriye pou maryaj ? » Des rires, des expressions de dégoût, et aussi une certaine sympathie se dégagent chez certains, les Pétion-Villois sont accrochés. « Je vais faire une vidéo pour Facebook », lance une dame qui braque déjà la caméra de son téléphone pour y parvenir. Ceux qui accompagnent la future mariée ne savent plus à quel saint se vouer. Saint-Pierre, définitivement, s’en moque. Avec désolation, l’éconduite laisse les escaliers du saint patron de Pétion-Ville avec à ses trousses une foule décidée à assister à toute l’affaire.

Ce que le public ne sait pas et n’arrive pas à accepter jusqu’ici, c’est qu’il a joué le rôle le plus important dans un nouveau genre théâtral qu’est le théâtre de rue. Le théâtre de rue est une forme d’échange, d’interactions sociales entre des comédiens qui le pratiquent et le public qui, par différentes étapes, passe de son statut d’assistant à celui d’acteur. Ses commentaires, ses réactions influencent le théâtre qui doit coûte que coûte s’en tenir à la base tout en s’ouvrant à l’improvisation et aux jeux des nouveaux acteurs. Seuls les comédiens savent qu’ils jouent, qu’ils impliquent les badauds dans une forme d’illusion, ce qu’ils appellent le théâtre de l’invisible.

Ce que les Pétion-Villois ne savaient pas, c’est que trois groupes d’artistes performaient simultanément dans les parages dans le cadre de la pièce « Le mariage ». Sur la place Saint-Pierre, un premier groupe de comédiens a joué le rôle de Sentinelles. « Des acteurs se sont rendus sur la place Saint-Pierre pour demander aux gens s’ils n’avaient pas remarqué une cérémonie de mariage à l’église, car vraisemblablement, ils étaient arrivés en retard », nous expliquent les comédiens de la Brigade d’Intervention Théâtrale-Haïti. Ce premier groupe a donc attiré l’attention d’un certain nombre de personnes sur l’église dont les portes étaient fermées. C’est une sorte de préparation à la venue de la future mariée qui s’étonne de voir qu’aucune préparation n’a été faite, qu’en clair son prétendant lui a posé un lapin. Qu’elle s’est fait rouler.

La troisième scène, entretemps, se joue sur la place Boyer, à environ quatre cents mètres de l’église. Là-bas, les gens assistent à un homme qui parle de ses frustrations, il boit. La femme avec qui il devait se marier, soupçonne-t-il, entretient une relation intime avec le parrain de leur mariage. « La p… ! » Tout comme devant l’église, nous dit Chelson qui joue le rôle du futur marié, les gens sont venus faire la conversation avec lui. Au fur et à mesure, la foule s’agrandit. Certains sont de son côté, et des femmes pour la plupart lui demandent d’assembler des preuves avant de prendre une telle décision et d’humilier la demoiselle qui s’est préparée pour ce grand jour. Les opinions différentes ouvrent la porte sur une grande discussion. Les hommes accusent les femmes, les femmes injurient les hommes. Les voix s’élèvent, Chelson gagne des sympathisants. Lorsque la famille de la future mariée apprend que Monsieur est sur la place Boyer, et décident de venir lui faire payer son affront, deux groupes s’affrontent sur la place Boyer. « Les gens ont failli se lancer dans un affrontement. Ils ont cru que ce qu’ils vivaient était vrai, nous dit Jenny Cadet, une des comédiennes qui jouait la sœur de Regina, la future mariée. J’ai été frappée avec une certaine violence, les gens hurlaient de toutes leurs forces. C’est là le risque du métier, et une façon de mesurer la réussite de la pièce. »

A ce stade, Regina feint de perdre connaissance, et dans l’urgence de lui porter secours et lui faire de l’air, les comédiens trouvent une opportunité pour saluer le public et le remercier de sa participation. Mais : « A Pétion-Ville, on ne pouvait pas ; les gens, même après les salutations d’usage, n’ont pas voulu croire que c’était un théâtre », affirme Eliezer Guerismé qui jouait le rôle du parrain.

La BIT-Haïti (Brigade d’intervention Théâtrale-Haïti) est une compagnie de théâtre de rue qui a vu le jour en 2011 suite à une formation avec Jacques Livchine et Hervée de Lafond du théâtre de l’Unité dans le cadre du Festival de théâtre Quatre Chemins. La BIT-Haïti a participé à plusieurs festivals à l’étranger. En 2012 elle a joué au prestigieux festival d’Aurillac, au festival de Ramonville à Toulouse. En 2013 la compagnie a participé au festival des Accroche-Cœurs à Angers ; et en 2014 la BIT-Haïti a été en tournée en Guadeloupe en prenant part au festival de Théâtre Cap Excellence. La BIT-Haïti a aussi participé à plusieurs festivals en Haïti dont le Festival de théâtre Quatre Chemins en 2011, 2012 et 2013 et, en 2012 et 2014, au festival de musiques et chants traditionnels Destination Aquin organisé par la FAS (Fondation Aquin Solidarité), au Festival Krik Krak.

En 2015 la BIT-Haïti a mené plusieurs projets de théâtre, dont un projet de théâtre communautaire et de formation autour de la thématique de l’environnent en partenariat avec l’association française Kasa, exécuté sur une période de trois mois à Saint-Marc et Aquin. Elle a en cours un projet de formation en théâtre aux détenues titré « Play Back Théâtre en prison » dans la prison civile des femmes de Pétion-Ville.

Les comédiens de la BIT-Haïti répondent aux noms de Regina Lazard, Chelson Ermoza, Jenny Cadet, Clorette Jacinthe, Sacher Nka Anacassis et Eliezer Guérismé. Actuellement, ils sont en quête de sponsors pour financer leurs projets à la prison de Pétion-Ville, et entamer d’autres dans des centres de renfermement (orphelinat, centre psychiatrique…)